LES PROGRES DE LA GENETIQUE : UN DEFI POUR NOTRE TEMPS
Première Partie : L'ENTREE DANS L'ERE DU GENIE GENETIQUEJacqueline Bascou
Sommaire
1- Qu'est-ce que le
génie génétique ?
2- Le génie génétique et la
médecine
3- L'imprévisible
4- La résurgence des mythes
5- La pensée-ADN
6- Génétique et Anthroposophie
7- Quel langage, quel dialogue ?
8- Le mouvement Ifgene
Bibliographie
1- Qu'est-ce que le génie génétique ?
La découverte par l'homme de certaines substances telles que, par exemple, le fer, le pétrole, les antibiotiques a révolutionné notre manière de vivre. Le rapport de l'homme au monde s'en est trouvé changé. Il en va de même actuellement avec la découverte de la substance des gènes, l'ADN (acide désoxyribonucléique) et de la possibilité étonnante que nous avons de la manipuler.
L'étude des propriétés de l'ADN a conduit au développement de nouvelles biotechnologies qui forment ce que l'on appelle le génie génétique, elles touchent la recherche fondamentale, l'agriculture et la médecine. L'une des principales manipulations génétiques consiste à prélever un gène, c'est à dire un fragment d'ADN issu d'un organisme, et de l'introduire dans un autre organisme en vue de modifier les caractères de celui-ci. Le gène introduit est appelé transgène et les organismes dans lesquels il est introduit sont dits transgéniques ou encore génétiquement modifiés (organisme génétiquement modifié dit OGM). Le transgène peut provenir d'un organisme de la même espèce ou d'une espèce différente du même règne de la nature ou d'un règne différent. Il est donc devenu possible de transgresser les barrières des espèces et même celles des règnes du monde vivant. Ceci est dû au fait que l'ADN a un rôle universel. Chez tous les organismes, les gènes sont constitués d'ADN et de plus la traduction de cette information stockée dans l'ADN se fait selon le même code, appelé code génétique. Cette situation est tout à fait révolutionnaire ! On peut ainsi introduire un gène humain dans une bactérie ou dans un animal ou dans une plante et inversement ! Les premiers organismes génétiquement modifiés sont produits avec des objectifs très divers. L'exemple le plus connu est celui du maïs BT produit par une firme américaine. Il produit une toxine bactérienne qui rend ce maïs résistant à un insecte nuisible pour les cultures. Des animaux sont aussi génétiquement modifiés en vue de produire des modèles d'étude pour des maladies humaines ou pour produire des médicaments ou encore obtenir des organes transplantables chez l'homme (avec comme modèle expérimental la réalisation de greffes d'organes de porc sur des primates). Le génie génétique ouvre la voie aux manipulations les plus incroyables il y a quelques années. Les conséquences de ces nouvelles pratiques sont totalement imprévisibles mais tellement prometteuses pour l'agriculture et la médecine qu'il sera bien difficile de les interdire ou même de les contrôler !
2- Le génie génétique et la médecine
Les progrès de la génétique interviennent dans notre vie quotidienne, dans la mesure où des aliments issus d'organismes génétiquement modifiés (OGM) arrivent sur le marché, dans la mesure aussi où nous ne pouvons ignorer les changements qui bouleversent la médecine. La médecine veut soigner, elle voudrait aussi guérir et prévenir, en fait elle peut maintenant prédire. Alors que la thérapie génique reste une promesse, l'usage de tests génétiques pour détecter une prédisposition héréditaire à certaines maladies s'est largement développé. Un médecin peut dire, par exemple, à une jeune femme en bonne santé qu'il y a une probabilité de 80% qu'elle développe un cancer du sein vers cinquante ans. Mais la médecine ne propose que peu de moyens acceptables de prévenir ce cancer. Comment vivre avec l'annonce d'une probabilité de maladie ? car la probabilité est statistique, elle ne s'applique pas à l'individu. L'individu optimiste va vivre en tentant d'oublier cette prédiction alors que l'individu pessimiste restera dans une anxiété permanente qui nuira à sa santé. Le médecin, lui, se trouve confronté à son impuissance à soigner une maladie qu'il connaît.
Une autre nouveauté est l'usage de tests génétiques pour reconnaître une personne en médecine légale. Ceci peut être fait de deux façons selon les régions d'ADN analysées. Les régions de l'ADN qui sont transmises à la descendance sans variations, peuvent permettre des recherches de filiation. Ceci peut se faire même à partir de cellules mortes car 'ADN est une substance qui se dégrade peu contrairement aux autres constituants de la cellule. C'est ainsi que les ossements des membres assassinés de la dernière famille impériale Russe ont été identifiés. Mais il existe aussi des régions d'ADN qui varient tellement d'une personne à l'autre qu'elles sont caractéristiques d'un seul individu. Ces régions identifiées et amplifiées constituent ce que l'on appelle une empreinte génétique . De telles empreintes génétiques obtenues à partir de fragments de peaux ou de tâches de sang peuvent servir à reconnaître, par exemple, un agresseur.
Le génie génétique nous place devant des situations contradictoires comme cela peut être le cas de la médecine prédictive, mais aussi il nous place devant des situations inédites dont on ne peut rationnellement évaluer toutes les conséquences. Comment évaluer l'innocuité des aliments issus d'organismes transgéniques pour notre santé ? Comment prévoir si les gènes introduits dans les plantes cultivées vont se répandre chez les plantes sauvages et modifier les équilibres naturels ? Comment mesurer des risques qui pourraient se révéler à très long terme ? Avons-nous le droit de modifier le patrimoine héréditaire d'espèces animales dans notre propre intérêt ? Que devient l'individualité humaine dans toutes ces manipulations ? Quel choix de société est sous-jacent au tri d'embryons humains lors des procréations médicalement assistées ? Les questions sont multiples et sans réponses.
Le génie génétique entre en résonance avec de vieux mythes de l'humanité. Le mot génie en lui même est significatif. Ces mythes sont nombreux : mythe de la connaissance avec le projet de séquencer l'ADN de nombreux génomes. Les génomes de sept espèces ont été entièrement séquencés, six génomes de bactéries et celui de la levure de boulangerie. Le séquençage du génome humain a débuté en 1988. L'importance de l'effort à fournir et son coût sont tels que plusieurs pays y coopèrent. On estime qu'il faut encore dix ans pour finir le séquençage du génome humain. Le leurre est de tout vouloir connaître de notre humanité par la connaissance de nos gènes. Le mythe du devin est aussi présent avec le pouvoir qu'il confère. Pouvoir de prédire l'avenir biologique des êtres vivants. Pouvoir de classer les individus selon leurs capacités réelles ou supposées sur une base génétique. Derrière ce mythe resurgit toute possibilité d'un eugénisme qui serait scientifiquement correct. Mythe du magicien illustré dans le film Jurassik Park où des espèces disparues sont recréées à partir de leur ADN (ce que l'on ne sait pas faire). La réussite du clonage d'une brebis en juillet 1996 laisse imaginer la possibilité du clonage d'êtres humains. Ces mythes animent aussi la recherche scientifique, qui aime les défis audacieux. L'homme aimerait bien recréer le monde comme il le désire. Ces vieux mythes qui accompagnent notre humanité jouent avec nos sentiments : sources d'espoirs de bénéfices pour l'humanité, mais aussi sources de peurs, d'aventures incertaines, de dangers non identifiés ou niés.
Le génie génétique est issu de la pensée-ADN. La pensée-ADN repose sur la croyance que la substance des gènes, l'ADN, est la matière ultime des êtres vivants et que sa connaissance révélera tout de leur nature. La pensée-ADN conçoit et tente d'expliquer la vie en termes d'objets, ceux-ci étant les molécules. Elle suppose que toutes les explications se trouvent sur le plan moléculaire. C'est une pensée linéaire qui ne prend en compte que le flux d'informations qui va de l'ADN à l'organisme. Les séquences d'ADN sont imaginées comme étant les pages du grand livre de la vie. C'est d'elles que provient l'information pour les protéines à travers le codage des acides aminés. Véritables ouvrières de la cellule, ces protéines vont ensuite donner formes, couleurs, comportements et vie aux organismes. Il est donc admis que changer les séquences d'ADN changera les caractéristiques de l'organisme. Il est intéressant de remarquer la convergence de cette pensée avec la pensée-ordinateur qui s'est développée dans le même temps. Ces deux pensées matérialistes utilisent les mêmes opérations : couper, copier, coller qui sont celles d'un enfant de 7 ans ! Ce sont des pensées issues d'un réalisme naïf mais qui conduisent à oublier les autres dimensions de la vie.
6- Génétique et Anthroposophie
La pensée-ADN conduit à l'exercice de trois négativités de notre époque :
- la vie n'a pas de sens, elle est issue du "hasard et de la nécessité "(J. Monod, prix Nobel 1961), du hasard de la variation des molécules et de la nécessité de s'adapter aux conditions du moment pour survivre.
- elle est déterminée dans son passé, son présent et son avenir par les gènes, c'est la théorie du néodarwinisme qui est largement admise de nos jours. Cette théorie est issue de la théorie de l'évolution proposée par Charles Darwin en 1859. Celle-ci trouva un nouveau développement appelé néodarwinisme avec la découverte de la substance des gènes.
- il n'y a pas de pensée supérieure. La pensée de l'homme n'est que le produit de ses molécules. Le système nerveux étant imaginé comme un gigantesque réseau qui enregistre le contenu des expériences et permet ensuite d'infinies combinaisons, comme un ordinateur. Il n'y a que des opinions personnelles dues à l'expérience de chacun.
Ces négativités peuvent nous conduire au seuil du néant. Mais elles peuvent aussi nous conduire à un retournement intérieur pour trouver par les facultés de l'âme un chemin d'humanité. Retournement où l'on cherche le sens de la vie, la confiance dans le devenir de l'humanité et la perception des pensées cosmiques. Ces trois exercices de positivité sont proposés par Rudolf Steiner dans La Pierre de Fondation et sont développés à travers son oeuvre.
Par son approche holistique, l'Anthroposophie peut jouer un rôle important pour que la génétique participe à la double interrogation concernant l'identité de l'être humain et la nature de l'univers qui l'entoure. Elle peut le faire lorsque à travers elle, nous élargissons notre compréhension de la nature humaine et de l'univers. La compréhension du monde cellulaire et moléculaire demande à être élargie de la même manière que cela a été fait pour les sciences naturelles.
7- Quel langage, quel dialogue ?
La manière dont la génétique est présentée au public est inadéquate à un réel débat. Ce débat est pourtant essentiel car les biotechnologies engagent l'avenir de l'humanité. Le débat ne peut se faire car il n'y a pas de dialogue entre les partisans et les opposants des biotechnologies. D'une part il n'y a pas d'espace pour que ce dialogue se fasse et d'autre part tout le monde ne parle pas le même langage.
En France, les espaces permettant un débat sont pratiquement réduits aux commissions qui décident de l'application des biotechnologies. Ces commissions sont composées de spécialistes. Elle ont travaillé dans une certaine indifférence générale jusqu'en 1995-96. Les scandales du sang contaminé et de la vache folle ont entraîné une perte de confiance dans ces commissions et le gouvernement a été parfois appelé à prendre des décisions contraires à leur avis sous la pression de l'opinion publique. Par exemple, la culture d'un maïs transgénique résistant à un herbicide produit par une firme Suisse a été d'abord interdite, alors que la Commission de Génie Biomoléculaire y était favorable. Puis récemment cette culture a été permise. Mais ce maïs transgénique servira à nourrir des vaches en France ou ailleurs. Les transgènes pourront éventuellement être transmis aux bactéries de leurs tubes digestifs et redisséminés dans la nature. Ce risque est maintenant envisagé par certains scientifiques mais il n'a pas été étudié.
Par ailleurs, les chercheurs ont élaboré un langage au cours de l'histoire en relation avec ce qu'ils font. Ce langage a toute l'autorité que l'on donne à la science. Mais ce langage, lorsqu'il est utilisé hors de son contexte, est sujet à des confusions ou illusions car il porte en lui le réductionnisme de l'approche scientifique actuelle. Son application en médecine ou en agriculture, où une autre dimension de la vie que celle appréhendée en laboratoire se manifeste, est inadéquate. Comprendre la vie requiert un autre mode de pensée, d'autres concepts, par exemple, celui d'entités, de cosmos. Quant au public, il a bien du mal à comprendre les enjeux des biotechnologies car les articles dans les journaux mettent plutôt l'accent sur le sensationnel qui fait rêver ou qui fait peur.
Le mouvement Ifgene (International Forum for Genetic Engeneering) d'orientation anthroposophique s'est donné pour but de placer le débat sur les biotechnologies sur un plan culturel libre des pressions économiques et politiques. Un premier congrès s'est tenu au Goethéanum en Suisse en 1996. Dans plusieurs pays ce mouvement travaille à ouvrir cet espace culturel dans le but d'aborder les présupposés de la science et de favoriser l'exercice du jugement moral. Dans la philosophie du mouvement Ifgene, c'est le processus de jugement qui prend une signification morale plutôt que le contenu du jugement lui-même. Cette démarche demande une écoute attentive et du respect pour la personne quelles que soient ses opinions. Une clarification des valeurs, du langage est le commencement de ce dialogue.
Le contenu de cet article a été présenté lors de l'Assemblée Générale de l'APMA en 1997 par l'auteur Jacqueline Bascou, docteur d'état en biologie (génétique), responsable scientifique Ifgene
La suite de cet article paraîtra dans les bulletins suivants (L'HISTOIRE DU CONCEPT DE GENE et L'ADN ET LA VIE)
Glossaire
1) ADN : longue molécule contenue dans les chromosomes du noyau des cellules. L'ADN est un polynucléotide (polymère de nucléotides).
2) Acide aminé : famille de molécules contenant une partie constante et une chaîne latérale variable. Les acides aminés sont les maillons des protéines. Il existe vingt acides aminés qui diffèrent entre eux par leur chaîne latérale.
3) Clonage : dans le cas cité, obtention d'un organisme génétiquement identique à un autre organisme sans passer par la reproduction sexuée.
4) Code génétique : dictionnaire qui donne la correspondance entre ADN et protéines : chaque acide aminé d'une protéine est codé par trois nucléotides (triplet) d'une molécule d'ADN.
5) Gène : unité d'information héréditaire constitué d'ADN. En général, un gène porte l'information pour une protéine dans la cellule.
6) Génome : toute l'information héréditaire d'un organisme, c'est à dire tous les gènes, tout l'ADN d'un organisme.
7) Nucléotide : maillon de l'ADN constitué d'une base azotée, d'un sucre à cinq carbones et d'un groupe phosphate. Il y a quatre bases azotées dans l'ADN : l'adénine (A), la guanine (G), la cytosine ( C) et la thymine (T).
8) Protéine : polymère d'acides aminés. Les protéines constituent en général plus de la moitié de la matière sèche des cellules. Il existe un très grand nombre de protéines différentes. Elles jouent un rôle actif dans les processus cellulaires, par exemple comme enzymes catalysant des réactions biochimiques.
9) Séquence d'ADN : succession des différents nucléotides qui la constitue, généralement indiquée par la succession des quatre bases azotées des nucléotides.
10) Thérapie génique (somatique): méthode de soin d'un personne atteinte d'une déficience génétique héréditaire (un gène déficient identifié): de l'ADN contenant le gène fonctionnel manquant est introduit dans l'organisme du patient sans toucher la lignée germinale. L'ADN peut être considéré comme un médicament d'un type nouveau. Ce type de thérapie n'a pas encore démontré son efficacité.
- Le Hasard et la Nécessité de J. Monod. Editions du Seuil , Paris, 1970.
- L'homme neuronal de J. P. Changeux. Librairie Arthème Fayard, Paris, 1983.
- Le Gène et la Forme de Rosine Chandebois. Editions Espaces 34, Montpellier, 1989.
- Cheminement intérieur et Pratique de la Vie, la Méditation de la Pierre de Fondation, une impulsion d'avenir de Jörgen Smit. Edition des Trois Arches, Paris, 1989.
- Science du ciel, Science de l'homme de Rudolf Steiner. Editions Anthroposophiques Romandes, Genève, Suisse, 1993.
- Atlas de poche de Génétique de Eberhard Passarge. Collection Médecine-Sciences, éditions Flammarion, Paris, 1995.
- The DNA Mystique, the Gene as a cultural Icône de Dorothy Nelkin et M. Susan Lindee. Edité par W. H. Freeman and Company, New York, 1995.
- La Médecine du XXIe siècle, des Gènes et des Hommes.d'Axel Kahn et Dominique Rousset. Collection Science et Médecine, Bayard Editions, Paris, 1996.
- Genetics and the Manipulation of Life, the Forgotten Factor of Context de Craig Holdrege. Lindisfarme press, New York, 1996 (disponible au secrétariat de Ifgene).
- The Future of DNA. Proceedings of an International Ifgene Conference on presuppositions in Science and expectations in Society. Edité par J. Wirz and E. T. Lammerts Van Bueren, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht, Boston, London, 1997 (disponible au secrétariat de Ifgene).
Ifgene, France, secrétariat : Colette Pradelle, La Commanderie, Amance, 10140.
Jacqueline Bascou: Jacqueline.Girard@ibpc.fr
Ces trois études ont été publiées dans la revue de l'APMA (Association des Patients de la Médecine d'orientation Anthroposophique), n° : 38, 39-40 et 41-42. Leur contenu a été presenté lors de l'Assemblée Générale de l'association APMA en 1997 par l'auteur. Ces revues peuvent être commandées au secrétariat de l'association à Colette Pradelle : La Commanderie, 10140, Amance, France.